Vous avez peut-être chez vous un appareil de la marque bien connue Philips. Or, saviez-vous que cette entreprise avait vu ses profits nets fondre de 40 % entre 2000 et 2010. La cause… l’innovation excessive. En 2011, Philips était active dans plus de 60 catégories de produits différentes. Ses clients, autant les entreprises que les consommateurs, devaient parfois appeler plusieurs branches de la compagnie pour régler un problème. Non seulement le service à la clientèle allait à la dérive, mais la coordination interne de l’entreprise était devenue cauchemardesque.
Le désir de devenir le premier dans le marché avec un nouveau produit peut aveugler les compagnies sur les inconvénients de multiplier la chaine de produits et services. Plusieurs dirigeants, assoiffés de gloire et de prestige, deviennent « dépendants » de l’innovation. Or, bien qu’il soit facile pour les décideurs de réaliser comment nos produits ou services risquent de se cannibaliser, il est plus difficile de considérer les couts de la gestion plus complexe que représentent de nouveaux ajouts dans nos produits et services.
Deux chercheurs du MIT SLOAN Institute, Jeanne W. Ross et Martin Mocker, se sont penchés sur la question dans un article publié en juin 2017 dans le Harvard Business Review: The Problem With Product Proliferation. Pour comprendre cette problématique, ils ont réalisé un sondage auprès de 255 directeurs exécutifs, et effectué une étude en profondeur de sept entreprises d’envergure (tels IBM, Lego Group, etc.), comprenant des entrevues auprès de 72 hauts gestionnaires. Ils ont découvert qu’en général, il n’y aurait PAS de corrélation entre la variété de produits et les profits de l’entreprise. Il y aurait plutôt une corrélation entre la variété de produits et les difficultés rencontrées avec les clients et les employés.
Face à ses problèmes, Philips a décidé, en 2001, de se doter d’une plateforme pour mieux gérer l’innovation. Ils ont restructuré leurs équipes en trois secteurs: de l’idéation à la mise en marché (processus d’innovation), du marché à la commande (lié aux ventes et marketing) et de la commande à l’argent (lié aux finances et service à clientèle). Ils ont réduit leur gamme de produits à deux grandes catégories, soit les appareils de soins de santé et les luminaires, qu’ils ont consolidées, et ils ont graduellement, depuis, retrouvé le profit. Ce fut un cheminement long et difficile, mais nécessaire pour sauver l’entreprise.
Lego est un autre exemple d’entreprise ayant failli succomber à un excès d’innovation et de nouveaux produits, alors qu’entre 1997 et 2004, ils avaient 12 000 différents modèles de briques, une ligne de vêtements, des jeux vidéos et des parcs d’attraction. Lego devait gérer des problèmes de rupture de stock liés à la variété, des opérations complexes et des clients frustrés, et a frôlé la faillite en 2004. Comme Philips, ils ont réalisé que leur désir d’innovation était en train de les étouffer. Ils ont vendu les parcs d’attraction, réduit le nombre de modèles et de briques et consolidé leur service à la clientèle.
En conclusion de leur recherche, J.W. Ross et M. Mocker proposent trois solutions pour mieux gérer l’innovation :
1- Se concentrer sur une meilleure intégration de produits au lieu de miser sur la variété à tout prix
L’idée n’est pas de cesser complètement l’innovation, mais de choisir des projets d’innovation qui soient mieux intégrés dans le portefeuille de produits ou services d’une entreprise. Ex : USAA, agence de services financiers pour les militaires américains, a décidé d’encadrer l’innovation en développant sa gamme de services autour de la thématique de la vie : mariage, achat de maison, avoir un enfant, acheter une voiture, prendre sa retraite, etc., au lieu de développer des produits dans une autre gamme. C’est une décision qui peut nécessiter de laisser tomber une source de revenue intéressante à court terme, de laisser la place au compétiteur. Mais qui, a long terme, s’avère plus rentable.
2- S’assurer que le personnel qui développe les produits est en relation avec les départements d’opération et du service à la clientèle
Il faut éliminer les barrières entre les gens qui travaillent à l’innovation et au développement de produits ou services, et ceux qui auront à gérer la nouveauté par la suite (opérations, marketing, vente et service à la clientèle). Ceci peut être fait en créant des matrices transversales en formant des équipes de gestion de produits. Ces équipes permettent également d’optimiser les résultats. Certains gestionnaires craignent que la mise en place de telles équipes mette un frein à l’innovation. Chez LEGO, les gestionnaires sont convaincus du contraire. « Ça prend plus de temps, mais quand on va de l’avant c’est plus rapide à exécuter, on fait moins d’erreurs », dit le CIO de l’entreprise.
3- Définir une vision et une mission claire pour votre entreprise, qui vous permette de guider vos décisions et vos choix
La mission de USAA est de « faciliter la sécurité financière ». Celle de LEGO est d’«inspirer et développer les constructeurs de demain ». Bien que très larges, ces missions sont plus que des slogans. Elles établissent les raisons d’être de l’innovation et à long terme, sont essentielles au succès de l’entreprise. Si une compagnie favorise l’innovation mais n’a pas de vision claire, elle risque de devenir dépendante de l’innovation au détriment de sa mission, et de s’éparpiller au lieu de se consolider. Le test ultime pour savoir si une mission est bonne, c’est lorsque les employés peuvent l’utiliser pour différencier une innovation qui ajoute de la valeur à l’entreprise d’une autre qui viendrait simplement complexifier les choses et nuire à la profitabilité de l’entreprise.
Cet article est un résumé en traduction libre de https://hbr.org/2017/05/the-problem-with-product-proliferation, publié en mai-juin 2017 dans le Harvard Business Review.